– topic commun n°1

La réalité, c'était d'abord l'exil en plein festival, tout ce qu'il était pour toi, t'as l'impression d'en être interdite, t'es une étrangère dans ta ville, t'en as perdu les clefs. Tu ne connais plus du festival que ces conversations faussement courtoises et ces visages anonymes. Autrefois cette tradition pour certains démodée avait éveillé en toi une certaine nostalgie, riche de souvenirs qui reflétaient désormais l'amertume d'une vie passée. Tu ne voulais pas venir. Tu ne voulais pas rester chez toi. A mi-chemin entre l'hésitation et le désir farouche de t'y montrer, d'y croiser peut-être ton ex-mari et lui lancer au visage tes félonies habituelles, ton regard vogue à travers la mer de gens, pourtant tu ne l'aperçois nulle part. T'as refusé de priver ton fils de cette après-midi annuelle dont il se réjouissait durant l'enfance, à présent l'âge ingrat atteint tu ne sais que trop qu'il risque de trouver l’événement bien plus ennuyant qu'à l'accoutumée. Ce n'est pas la première fois que vous vous retrouvez à deux sentant cruellement le manque du trio que vous formiez, d'abord y'a eu noël, les anniversaires et toutes ces commémorations qui sont aussi douloureuses qu'elles ont pu être festives il fut un temps. T'as beau vouloir compenser par tout un tas d'attentions ce n'est que de la poudre aux yeux, ce qu'il voudrait c'est ce paternel que t'es incapable de lui rendre pour le moment. « Tu veux rejoindre des camarades de classe? » lui demandes-tu d'une voix distraite, connaissant d'avance la réponse à ta question, « On va sûrement croiser Julian et Odessa.. » tu l'espères tout du moins, la gamine ayant une aisance toute particulière à faire sortir ton fils de sa coquille. Toujours munie de ton appareil photo t'as tenté de te convaincre que l’événement pourrait potentiellement t'offrir des clichés dignes d'intérêt. A défaut de photographier les nageoires tu restes plus attentive à la foule qui se presse de toute part, dénichant d'un œil aux aguets les regards envieux, les sourires feutrés, les œillades qui se veulent secrètes. Impressionnée par ce que les visages révèlent lorsqu'ils se croient à l'abris de toute observation indiscrète. T'as l'art de capturer sur papier glacé ce que la plupart cherchent à dissimuler farouchement.

Natif de la ville, t'as jamais été du genre super attiré par ce festival, tout du moins c'était uniquement une bonne excuse pour sortir et prendre l'air, se vider l'esprit et penser à autre choses que tes cours. Enfin, si seulement il n'y avait que tes cours qui te prenaient la tête en ce moment, ce serait une futilité. Pourtant, t'es rongé par ce secret, ton secret, ça te prends les tripes, ça te ronge de l'intérieur et tu sais pas comment faire pour t'en sortir. Parce que tu sais que dans le fond, tu t'en sortiras jamais. Toi et tes amis, vous ne vous en sortirez pas et si un jour ça se sait... tu préfères même pas imaginer la suite. Tu avais quitté tes cours à l'université de Los Angeles et en revenant, tu t'es décidé à t'arrêter là. L'esprit ailleurs, tu t'es assis sur un petit muret de cette baie et tu penses, à tout, à rien, à elle, à eux. Tu vois autour de toi tous ces gens heureux, ou pas, ceux qui font semblant de l'être, ceux qui le sont vraiment, ceux qui cachent de lourds secrets, ceux qui sont droit dans leur bottes. T'étais droit toi aussi, il y a encore une semaine. Puis ça a bousculé, une putain de soirée qui a tout changé. Et tu te répètes toujours la même question " pourquoi toi ? ", on dit toujours que ça n'arrive qu'aux autres jusqu'à ce que ça te tombe dessus. Et toi, tu te l'es prit en pleine face, t'as paniqué, t'as failli trahir tes amis mais non, tu ne le feras pas. Et ça te coûtera peut-être beaucoup de choses mais, tu ne diras rien, jamais. Trop prit par tes pensées, tu n'avais même pas fait attention que la foule s'était amassé derrière toi, contre le muret qui donne sur la baie, tu n'avais pas fais attention à cette personne s'étant assise à tes côtés, ni même qu'elle se'était adressé à toi.

Eden admire la ville de Monterey à cause de sa très belle plage sur laquelle il aime marcher chaque semaine, mais aussi à cause du festival des baleines auquel il aimait aller avec ses deux parents chaque année. Plus petit, ces mammifères marins le rendaient fous, comme presque tous les gamins de son âge. Les phoques, otaries, dauphins et ces grosses baleines qui ne montraient le bout de leur nez que très rarement. Il a toujours aimé tout ce qui se rapprochait de la mer et c’est sûrement pour cette façon qu’il a une bonne dizaine d’ouvrages à ce sujet dans sa bibliothèque. Mais maintenant, Eden a passé la barre des quatorze ans et autant dire que la signification de cette journée qu’il aimait autrefois avait bien changé. Son père n’était plus là, il ne les accompagnait plus depuis le divorce de ses parents ce qui rendait la chose encore plus lassante, puis… il y avait les camarades de classe d’Eden. Ces garçons, parfois filles qu’il détestait supporter à l’école mais qu’il était obligé de croiser là-bas. « Non, ça va aller… » il soupirait à sa mère alors que celle-ci lui proposait de rejoindre ses camarades de classe. Sans rire ? Ils s’étaient hissés dans la foule. Les nombreux bruits, la chaleur ambiante, l’ennui… il était prêt à passer une mauvaise journée. « J’espère, Odessa m’a dit qu’elle viendrait avec son père. On aurait dû y aller tous ensemble. » Au moins, avec elle, il se serait plus amusé, aurait été plus distrait qu’il ne l’était déjà par ces gamins qui criaient dans tous les sens… Il marchait avec sa mère, essayant de ne percuter personne en se hissant entre certaines personnes qui l’empêchaient de continuer sa marche… « Tu crois qu’on pourrait s’achet… » Une glace. Ouais, ça aurait pu être sympa. Mais le glacier a rapidement perdu son attention lorsque son regard remarqua une connaissance, un homme rencontré quelques semaines plus tôt au parc de la ville. Danny. Un peintre, un mec sympa qui lui avait tapé la discussion et lui avait un peu transmis son savoir sur la peinture… « Eh, Danny ! » qu’il s’était mis à crier sans être sûr qu’il puisse l’entendre avant de s’approcher rapidement de lui. Il était parvenu à le reconnaître malgré cette grosse capuche qui couvrait son crâne et cette paire de lunettes de soleil. « Je savais pas que tu viendrais… ‘Fallait le dire, t’aurais pu venir avec nous. » Il le checkait avec son point, un grand sourire dessiné sur le coin des lèvres. Décidément, peut-être que l’après-midi allait être moins ennuyeux que prévu.

t'observes le large. la côte. tu fais pas trop attention aux gens autour de toi. à ce qu'il se passe, tout simplement. tes yeux bleus protégés par tes lunettes de soleil et tes mains au fond de tes poches. tu retiens un soupir. tu te sens étranger dans ce monde pourtant si familier, autrefois. tu grattes légèrement ta barbe, tu te pinces les lèvres. ton dos contre un arbre pour prendre appui, pour pouvoir observer plus sereinement le monde face à toi. eh, danny ! tu tournes la tête un peu trop rapidement, ta capuche retombant dans ton dos et tu souris en voyant arriver une tête brune. eden. tu l'as rencontré il y a quelque temps au parc. tu peignais. tout simplement. et il t'observait. manège silencieux qui a duré quelques minutes avant que tu ne lui proposes de s'approcher et que vous ne discutiez quelques heures. tu relèves tes lunettes de soleil et tu réponds au check du jeune adolescent. je savais pas que tu viendrais… 'fallait le dire, t’aurais pu venir avec nous. tu esquisses un léger sourire, secouant la tête. tu ne prévois rien en ce moment. tu sais pas ou tu vas te retrouver dans quelques heures, comment aurais-tu pu prévoir de te rendre à un festival il y a plusieurs jours de cela. nous ? t'es avec des amis ? tu demandes d'une voix assez détachée, passant une main dans tes cheveux, éloignant les mèches un peu trop longue de ton visage. je n'avais pas spécialement prévu de venir. je passais par là et je me suis souvenu du festival. tu rajoutes d'une voix calme, expliquant rapidement les raisons de ta présence ici. après tout, tu pourrais croiser des dizaines de visages du passé, pourquoi prendre le risque de passer par la ?
par envie.
par besoin, sans doute.
celui de renouer avec certaines branches du passé.

Il regarde d'un air curieux son café noir, ce matin. Il se demande, il lui demande, s'il va vraiment faire l'effort de sortir aujourd'hui. Si ça vaut vraiment la peine. De s'habiller, se coiffer, faire semblant de maîtriser les trois poils qui poussent sur son menton. Voir des gens, secouer la main pour montrer qu'on en a reconnu certains, embrasser des bébés comme pour les féliciter d'avoir reçu la bénédiction de la vie. Puis il y a le soupir et le haussement d'épaules. Ce petit boarf, cette petite réflexion de et si ça se trouve les baleines ont chopés un virus, sont devenues zombies et vont bouffer tout le monde cette année alors pour sûr, ça vaut l'coup d'y aller. Il termine son café, enfile ses chaussures, attrape ses clefs. Un petit tour devant le miroir. Il est moyennement tout beau, ça fera l'affaire. Il quitte son appartement. Y revient immédiatement, il a oublié les lunettes de soleil. Et cette fois il est prêt, frais, et en route pour la baie. Au fur et à mesure qu'il rejoint la foule, un sourire se glisse tout de même sur ses lèvres. Le soleil est là, la bonne humeur de certains aussi. Qui est-il pour être aigri, au juste ? Il aperçoit sa sœur et son neveu, au loin. Le petit coucou de la main, le grand sourire aux lèvres, le cœur formé de ses doigts. L'asperge en plein milieu de la foule qui fait des signes bizarres, à des personnes lointaines, c'est lui. Il ne va pas les embêter, pas tout de suite. La foule est trop en mouvement, et le cri de son ventre trop grand pour qu'il ne l'ignore. Alors sa douce aînée et son non moins doux neveu devront se contenter de ça, pour le moment. Il s'approche ensuite d'un stand, s'achète ce que sa poignée de dollars en poche le lui permet avant de suivre la foule au niveau de l'eau, pour voir l'habituel spectacle dont il est témoin tous les ans. L'arrivé des baleines, et l'incroyable beauté de la nature humaine. Ses trois pauvres cacahuètes englouties, il pense enfin à relever la tête pour voir s'il n'y aurait pas d'autres visages familiers autour de lui. Le sourire béat sur les lèvres. Voir des baleines, ça le rend peut-être un peu trop joyeux. Il a l’impression d’être à Noël. Il pense juste que c’est peut-être le cas. Du moins, c’est le but du festival. Rassembler. Voir du monde. Manger.

« Il est vrai que ça aurait été plus simple.. J'envoie un message à Julian pour savoir s'ils sont déjà arrivés. » joignant le geste à la parole tu t'empares de ton téléphone pour taper rapidement le sms à l'intention des Caldwell, il serait bien impossible de les repérer sans une petite indication de leur part tant les alentours grouillaient de monde. Laissant ton fils se frayer un passage parmi les autochtones tu disparais derrière l'objectif de ton appareil, tu cherches en vain dans chaque visage une étincelle de poésie, de l'enthousiasme dans les discours, des idéaux si ce n'est des idées, mais les gens passent outre, ils marchent pressés, mal habillés, les yeux vidés par les soucis. Certains pourtant attire ton œil de photographe, tout particulièrement cette femme assise seule sur son banc dans sa magnifique robe-tailleur bleue, le regard acier et la mine impassible elle donne l'impression d'attendre quelqu'un, quelque chose.. sa solitude poignante se reflète dans sa posture qui se veut pourtant anodine, la lassitude de ses soupirs t'arrache un intérêt soudain, tu figes sur ta pellicule son sourire de façade lorsque ton attention se trouve détournée par une silhouette étrangement familière. Elle traverse ton objectif en un clin d’œil la capuche rabattue sur la tête ton cœur rate un battement. Ton esprit tente de se persuader de l'improbabilité de la chose mais ton corps lui agit d'instinct, bifurquant à une vitesse prodigieuse tes pas te portent derrière un stand de hot-dog. T'entends à peine Eden s'adresser à toi que t'es déjà quasiment à quatre pattes rampant derrière le vendeur ambulant en essayant de te dissimuler au mieux derrière cette pancarte géante de saucisse. « Bonjour.. » marmonnes-tu entre tes dents répondant au regard interrogateur que te lance le vendeur, tu ne bouges pas d'un iota pour autant cherchant du regard ton fils tu l'aperçois interpeller cet étranger que tu cherches à éviter, tu crois même reconnaître un check entre eux et t'en restes estomaquée. Ta mâchoire tombant presque au sol de surprise. Te retournant vivement de l'autre côté du stand la panique s'empare de toi et te retourne l'estomac « Je crois que je vais vomir. » peut-être bien mais sûrement pas ici c'est en tout cas ce que semble t'indiquer l'homme aux grillades, reconnaissant ton frère qui te fait de grands signes un sourire béat jusqu'aux oreilles, tu lui réponds à ton tour, mimant par des gestes incertains que t'aurais bien besoin d'aide là de suite. A ton grand désarroi il semble passer complètement à côté de l'info et disparaît à travers la foule. Raté.

Lowell avait beau tenir sur ses deux jambes, le reste de son organisme était aussi fébrile que si la totalité de ses os venait d'être brisée. Se rendre au festival de Monterey était sans doute la pire idée qu'il ait eue dans toute cette histoire, car il se sentait la vigueur d'un zombie tant et tellement il manquait de sommeil. Se rendre à ce festival était comme un rituel, et même si les forces lui manquaient, Lowell s'était glissé au volant de son MGB GT et avait pris la direction de Fisherman's Wharf. Comme chaque année, il y avait foule et la baie de Monterey était noire de monde. Hatch réfléchissait aux personnes qu'il était susceptible de croiser, et au fond de lui, il pria pour que ce pompier ne se trouve pas sur son chemin, car dieu seul savait quelle réaction pourrait être la sienne s'il était amené à le croiser. Il ignorait totalement si Octavia avait prévu d'y aller et n'avait pas eu le temps de lui envoyer un message pour en savoir plus ; il était tout simplement parti sur un coup de tête. La faim le frappa et le neurochirurgien se dirigea vers les stands de nourriture en traînant les pattes. Une paire de lunettes de soleil noire sur le nez lui conférait un petit semblant d'anonymat, et cachait surtout les cernes qu'il avait sous les yeux. Il paya quelques dollars pour une barquette de frites bien grasses ; son estomac n'était pas regardant. Un peu à l'écart, il se tourna vers la foule à la recherche de regards familiers tout en avalant goulument ses frites nappées de ketchup. Il se sentait si mal et si faible qu'il crut un bref instant qu'il allait recracher les frites qu'il venait d'avaler ; les verres de whisky ingurgités la veille au soir n'allaient sûrement pas aider.

En allant rejoindre cet ami âgé de plus du double de son âge, Eden avait complètement quitté sa mère, la laissant dans cette foule. Il l’a checké, un grand sourire aux lèvres. Danny était une très belle rencontre qu’il avait faite quelques temps déjà au parc. Il l’avait aperçu en train de peindre puis s’était approché, silencieux. C’est Danny qui a commencé à lui faire la discussion puis ils ont parlé pendant une heure, deux heures, trois heures… de choses et d’autres, de choses moins intéressantes que d’autres mais c’était largement satisfaisant pour l’adolescent qui était bien dégoûté, en rentrant chez lui, de voir qu’il n’avait pas pensé à lui demander son numéro de téléphone pour garder contact. « Non, je suis avec ma mère… » et sur ces mots, il se retournait pour la chercher, mais… elle avait disparue dans cette foule. Il s’est donc mis à la chercher du regard comme un gamin paniqué, comme il avait l’habitude de le faire plus petit, quand il se paumait dans les magasins… « Maman ? » Puis il l’a aperçue, là-bas, à quatre pattes derrière ce stand de hot-dog, aux pieds du vendeur. Mais qu’est-ce qu’elle faisait… ? « Maman ?! » il l’appelait encore plus fort avant de se décider de traverser à nouveau la foule pour la rejoindre, lui tendant la main pour qu’elle se relève, laissant Danny seul mais peut-être spectateur de la scène. « Mais qu’est-ce que tu fais… ? T’as perdu quelque chose ? » Peut-être qu’elle était à terre pour chercher un truc ? Ou peut-être qu’elle voulait se cacher ? Non… Eden était trop naïf.

tu ne t'attendais pas à croiser eden ici. non. quoi qu'au fond ça ne t'étonnes pas tant que ça. c'est un gamin de la ville. comme tu l'as été. il est sans doute né ici et a dû grandir dans les rues de monterey. c'est tout. tu ne sais pas pourquoi tu cherches plus loin. pourquoi tu te poses des questions du style : pourquoi ce gosse viendrait d'autre part ? il a l'air différent. tu ne sais pas de quelle manière, mais tu le sens. instinct. non, je suis avec ma mère ... tu hoches la tête en silence. pas étonnant. il est jeune encore. quatorze petites années sur son visage. tu passes une main sur ton visage, glissant finalement tes doigts dans tes mèches châtains. eden se retourne. cherche sans doute sa mère du regard. tu farfouilles dans tes poches. tu ne veux pas briser un moment entre une mère et son enfant. tu l'observes s'éloigner pour rejoindre une jeune femme à quelques mètres de la.
ton regard bloqué. figé quelques secondes.
octavia.
putain. de. merde.
la mère d'eden, c'est octavia ?! t'es complètement figé. tes mains fouillent nerveusement les poches de ta veste, en tirant une cigarette que tu glisses entre tes lèvres sans attendre. tu t'éloignes un peu de la foule pour allumer le tube de goudron. putain. ton cerveau qui marchent à cent à l'heure. t'es pas certain de comprendre.
tu veux pas comprendre.
tu veux pas faire le lien entre l'âge d'eden et le temps depuis lequel t'es parti.
tu veux pas faire le lien entre octavia et eden.
tu veux pas.