'Cause I was only born inside my dreams - Kaleb

- Quatrième né d'une fratrie de six enfants, six garçons, tu sais pour les avoir entendu en parler que tes parents n'ont désiré que ton aîné, ayant enchaîné après lui les grossesses dans l'espoir vain d'avoir une fille, cessant après six enfants, persuadés d'être maudit par un Dieu quelconque.
- Mémoire brisée, tu ne te rappelles de rien avant l'âge de 17 ans, pas même de l'accident qui t'a arraché cette partie de ta personnalité, il parait que tu étais fatigué et le conducteur aussi, il parait que tu n'as pas regardé avant de traverser et que lui n'a pas eu le réflexe de freiner, tous les deux coupables, mais seul toi blessé, tu ne te rappelles de rien, trop rapide, dans un flash, dans un éclair, trop soudain pour sentir la douleur, l'adrénaline dans tes veines et ton corps brisé contre le bitume
- 17 ans de souvenirs,ce fut ton prix à payer pour avoir été distrait, 17 années effacées en un éclair au coin d'une nationale mal éclairée, malgré toutes les techniques essayées rien ne les a jamais ramenés, la mémoire en miette, le corps meurtri, tu te rappelles t'être réfugié dans la rééducation, les progrès fulgurants juste pour ne plus penser, pour oublier avoir oublié
- La drogue ensuite, quand tu as pu reprendre une vie normale, substance que tu as découvert ou peut-être redécouvert à travers les soirées que tu avais parait-il l'habitude de fréquenter, substance salvatrice autant que destructrice dans laquelle tu t'es réfugié, avec elle la garantie de ne plus jamais te souvenir, la garantie de ne plus rien avoir à oublier, jamais

- C'était ça ta nouvelle vie Kaleb, ta seconde chance que tu t'évertuais toi-même à saborder.
La journée, user tes jean sur les bancs de l'école, regarder d'un regard vide un professeur abîmé par les années répéter les mêmes phrases sempiternellement comme coincé dans son propre cercle de l'enfer, rendre des copies blanches, aussi vides que ta mémoire, ignorer les regards, les remontrances, attendre toujours et encore un miracle qui refusait de venir à toi et la nuit te perdre dans les soirées, dans les bars, te laisser emporter par la musique, le poison dans tes veines pour ne pas te souvenir, surtout pas, la seule règle que tu t'imposais, ne jamais prendre le risque d'avoir quelque chose à oublier

- Et puis il est arrivé dans ta vie, et il a tout changé, il y est entré avec toute la subtilité d'un ouragan, gamin que tu avais remarqué dés qu'il avait mis les pieds dans le bar, un peu trop beau pour être réel, un peu trop beau pour être ici, gamin que tu avais arraché aux bras d'un gars que tu ne connaissais que trop bien, prédateur toujours en recherche d'une proie.
Est-ce qu'il avait envie d'être sauvé ? Probablement pas, mais c'était plus fort que toi
- Des heures, des jours, des semaines, des nuits à refaire le monde, à se confier l'un à l'autre jusqu'à sa demande que tu savais inévitable, que tu avais toujours senti inéluctable, arrêter la drogue, pour lui, pour vous, arrêter la drogue et tout ce qu'elle t'apportait comme sécurité, pourtant tu n'avais même pas réellement réfléchi avant de dire oui parce que quand tu le regardais dans les yeux, quand tes lèvres touchaient les siennes, dans ces moments de grâce tu comprenais qu'il était une personne pour qui tu voulais prendre le risque d'exister à nouveau, de vivre à nouveau, de te souvenir à nouveau, pour qui tu voulais même prendre le risque d'oublier encore une fois, il valait tous les sacrifices d'une vie entière, tous les sacrifices juste pour le voir rire et sourire encore une fois, rien qu'une fois
- Le combat de ta vie ensuite, ton corps contre le poison, le manque, la douleur, les rechutes encore et encore, se relever puis retomber encore plus bas, baisser les yeux par peur de voir la déception dans les siens, aujourd'hui tu es clean depuis un mois, un mois tout pile depuis ta dernière dose, ton dernier voyage, les cicatrices qui commencent à lentement s'estomper de tes bras, tu as envie d'y croire cette fois
- Et malgré tout ça tu refuses toujours catégoriquement de poser le mot couple sur votre relation, malgré l'évidence, malgré ce que même un aveugle pourrait voir, tu fuis ce mot comme on fuit la peste, comme on échappe à une catastrophe naturelle. Le couple pour toi c'est eux, tes parents, c'est ces deux personnes qui ont fait six enfants à la chaîne avant de les abandonner progressivement, ces deux personnes qui n'ont pas été là après ton accident, ces deux personnes qui débarquent tous les six mois dans le meilleur des cas, qui ne connaissent qu'à peine vos prénoms...Tu ne veux pas ça pour vous, tu rêves de mieux
- Ta passion secrète, ce qui t'anime en cachette est le dessin, pour une raison qui t'es inconnue, peut-être une pudeur mal placée tu ne l'as jamais dit à personne, jamais montré, ton plus grand secret. Tu es ce genre de personne qui dessine des heures durant puis cache les œuvres sous son matelas, surtout depuis quelques mois, depuis que toutes se ressemblent, toujours les mêmes traits, la perfection, l'espoir de réussir à le faire aussi beau qu'en réalité
- En secret tu rêves d'arrêter les cours qui ne te mènent nul part ailleurs que droit dans le mur pour chercher un travail, vous offrir à Cosmo et à toi un endroit à vous, une bulle de sécurité, rien de très luxueux, juste le minimum pour être heureux, mais tu as peur de ne pas y arriver, pas vraiment peur qu'il refuse, plus peur que les autres, les patrons te refusent, toi qui traîne  une mauvaise réputation derrière toi
- Car si aux yeux de tes frères, aux yeux de Cosmo même probablement tu es quelqu'un de bien, ou du moins quelqu'un qui lutte pour s'en sortir, qui essaie chaque jour d'être meilleur que la veille, aux yeux d'une grande partie du monde, même de ta bande d'amis, tu n'es rien de plus que l'image que tu t'appliques à cultiver, un bad boy dans le pur respect des clichés